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Projets

Construire une plateforme web pour le cinéma

Comme je le raconte dans mon billet sur les projets que j’accompagne, je travaille actuellement sur plusieurs projets de transformation numérique.

Cela fait plus de 10 ans que je collabore avec Dan Wechsler, le directeur de la société de production de films d’auteur Bord Cadre films. Nous avons créé ensemble plusieurs prototypes d’expériences vidéo: le player vidéo Comet, qui permettait de constituer une playlist de courtes vidéos liées par des mots clé à une vidéo principale, ou le projet de bande dessinée interactive Zeru, qui a gagné un prix pour son concept d’interactivité innovant.

Ces projets d’expérimentation avec les possibilités vertigineuses de l’informatique nous ont donné envie d’aller plus loin dans ce monde numérique. Non pas avec des nouveaux projets transmedia, mais avec l’objectif d’une transformation profonde permettant de réaliser sur des bonnes bases les prochains projets numériques novateurs.

Je suis en train de rédiger un billet spécifique sur les raisons de réaliser cette transformation profonde avant de vouloir réaliser des projets qui se veulent pérennes dans le monde numérique.

Grâce à un soutien financier exceptionnel COVID-19 de la Confédération et des Cantons, des sociétés de productions culturelles ont pu demander des moyens financiers pour pouvoir se concentrer sur la nécessité de cette transformation profonde, que la crise liée au COVID-19 a remis sur le devant de la scène.

Ce billet va articuler ce que nous aimerions développer et proposer avec le projet de transformation pour Bord Cadre films, que nous allons pouvoir réaliser dans les mois qui viennent, grâce au soutien financier reçu en fin de l’année dernière.

Les enjeux du projet en quelques lignes

Voici quelques-unes des questions que nous nous posons depuis des années.

Comment faire vivre un film sur Internet ?

Internet ne sera jamais une copie dématérialisée du monde présentiel (salle de cinéma, festivals…); il faut inventer autre chose, qui est spécifique à la nature intrinsèque du réseau informatique.
Mais quoi, comment ?

Quelles expériences numériques peut-on proposer aux spectateurs qui vont aller voir ou ont vu un film en salle ?

Il n’y a pas assez de passerelles entre notre “premier monde” et les multiples usages numériques possibles; tant d’occasions manquées pour fidéliser et acquérir de nouveaux publics.
Comment initier ces passerelles, avec quelles propositions ?

Comment tisser des relations valorisantes avec nos publics ?

La principale relation que nous entretenons avec nos publics se passe lors des moments privilégiés de présentations en salle; cette relation ponctuelle n’est pas pérenne. À l’époque où les communautés en ligne ont plus de valeur que les contenus, il faut réagir.
Comment intégrer de manière créative, valorisante et évolutive nos publics au sein de nos projets ?

Que serait une société de production cinématographique compatible avec le monde numérique ?

Les workflows techniques et créatifs ont relativement peu évolué dans le fond, malgré les multiples évolutions techniques liés à la numérisation. Beaucoup trop d’énergie et de valeur sont perdues dans les processus collaboratifs, inopérants et inefficaces. Le cinéma est resté trop longtemps à l’écart des transformations que les autres domaines créatifs ont dû traverser. Mieux vaut anticiper que de subir…
Comment mettre en œuvre des “nouvelles bonnes pratiques” pour mieux profiter des possibilités et opportunités spécifiques du numérique ? Que serait une plateforme web pour le cinéma ?

Il faut parfois une crise pour bouger…

La période du COVID-19 a accéléré la nécessité d’apporter des réponses concrètes à ces questions. Même imparfaites, toutes les expérimentations que nous pouvons réaliser dans les années à venir seront des briques indispensables à la mise en place de nouvelles chaînes de valeur.
De celles qui activent et valorisent des ressources de la société civile, de celles qui favorisent l’économie circulaire, de celles qui agissent de manière responsable face à l’urgence climatique.

Ne pas expérimenter de nouvelles modalités de diffusion de des œuvres cinématographiques signifie une disparition quasi certaine de l’activité principale de Bord Cadre films: trouver et faire éclore les talents qui savent raconter des histoires à même de nous faire voir notre monde complexe avec des yeux nouveaux.

Lot of people working on computers
Lot of people working on computers, cinema screen

Une transformation indispensable

L’objectif principal de notre projet de transformation est de développer une plateforme numérique d’un nouveau type, bien différente du site web classique d’une société de production cinéma.

En effet, nous pensons qu’il faut passer du mode usuel de “vitrine” (regarder, cliquer, et peut-être consommer) à un mode de “place du village” (regarder, interagir, échanger, et idéalement participer).

Force est de constater que les sites web actuels des sociétés de production cinématographiques restent bien en dessous de leur potentiel. Les partenaires professionnels (festivals, médias, distributeurs, exploitants, etc.) demandent des informations par le biais de formulaires et viennent rarement chercher les informations sur les sites.
Les publics, quant à eux, ne sont pas très intéressés par la fiche technique du film. Hormis les trailers des films produits et les liens (s’ils existent) vers une plateforme vidéo payante pour voir les films, ils n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent.

Et d’ailleurs, comment et pourquoi viendraient-ils sur le site du producteur, alors qu’il y a tant à regarder gratuitement ailleurs ?

L’effondrement accéléré par le COVID-19 de la filière de diffusion classique met les producteurs de films devant le dilemme suivant: produire des films est relativement facile; les partager avec le public est devenu un chemin de croix.

Pourquoi alors produire des films s’ils rencontrent de moins en moins leurs publics potentiels ?

Les questions suivantes se posent alors:

  • comment faire pour que la valeur intrinsèque des projets de films puisse quand même arriver au sein de la société, et ainsi justifier l’investissement de sommes conséquentes d’argent public ?
  • comment pouvoir investir du temps et des ressources humaines dans la nécessaire élaboration d’une stratégie digitale, condition sine qua non à la survie de n’importe quelle structure dans le monde d’aujourd’hui ?
  • comment produire les contenus complémentaires pour le web, sans faire exploser son équipe déjà en saturation de tâches multiples ?

On le voit, la transformation nécessaire est double. Il faut optimiser ses propres pratiques collaboratives et intensifier ses partenariats pour pouvoir partager créativement plus de contenus et de récits tout au long du processus de production, et ainsi pouvoir espérer fidéliser les publics acquis, tout en touchant de nouveaux publics.

L’opportunité qui nous est donnée par les autorités publiques avec cette mesure de soutien à la transformation arrive à point nommé: sans cet investissement structurel de fond, il serait très difficile à une société comme Bord Cadre films de réaliser les transformations stratégiques nécessaires pour pouvoir continuer son activité de manière pérenne.

Des exemples concrets

Pour illustrer de manière plus concrète les enjeux décrits ci-dessus, voici quelques exemples d’usages et d’expériences numériques que nous souhaitons mettre en œuvre dans le cadre de ce projet de transformation.

  1. Partager plus de contenus, histoires, témoignages et réflexions de fond durant tout le processus de création d’un film.
    Une grande partie de ces contenus existent déjà: dans les dossiers de production, les disques durs et smartphones des collaboratrices et collaborateurs, les rushes de tournage, les bases de données de partenaires. L’enjeu principal est donc de rassembler ces contenus, de les relier entre eux et de les contextualiser de manière à raconter le processus de fabrication, les questionnements, l’intérêt du projet de film pour la société.
    #Valoriser: valoriser le processus; valoriser le travail des collaboratrices et collaborateurs; valoriser les apports des partenaires.
  2. Créer des contenus inédits, pouvant être partagés de manière exclusive avec des communautés privées et / ou mis en vente par exemple sous forme de NFT. Il existe une demande en provenance de “fans” et d’investisseurs pour collectionner et posséder des contenus en lien avec un projet spécifique, auquel ils croient. L’enjeu est de pouvoir offrir facilement des contreparties originales en échange de leur engagement (en temps, argent, expertise).
    #Échanger: faire fructifier les apports externes en leur apportant une contrepartie ayant une valeur.
  3. Activer et faire vivre des communautés autour de sujets, thématiques ou personnalités. Il ne s’agit pas de verser dans le “community management” au détriment de l’activité principale, mais de pouvoir mettre en place une dynamique de communautés actives au travers de partenariats transversaux (avec un média, un blog, une communauté déjà existante, etc.). L’enjeu est de pouvoir créer des liens vivants avec le public au-delà de l’objet filmique, qui a une durée de vie et une portée limitée.
    #Contribuer: offrir un espace de contribution, permettant à des personnes ayant des choses à partager sur des thématiques ou des enjeux de société, de contribuer dans un espace de conversation de qualité. Ces espaces de contribution sont bien entendu en relation directe avec le premier point (valorisation du processus).
  4. Permettre à d’autres entités partenaires d’utiliser et de mettre en valeur les récits et contenus créés. La dynamique créative qui se constitue autour d’un projet de film doit pouvoir se propager organiquement, pour devenir l’ambassadrice du projet auprès des publics. Ce n’est pas en exposant partout les mêmes informations – comme c’est le cas maintenant – que l’on va pouvoir apporter le plus qui fera la différence auprès des publics. C’est plutôt en permettant à tous les partenaires engagés conjointement dans un projet, d’apporter leur propre expertise spécifique sur la base d’une présentation qui s’insère de manière vivante et évolutive dans les sites web respectifs.
    #Partage: le partage est plus précieux et efficace qu’un simple relai s’il apporte une touche personnelle en plus; le partage peut ainsi devenir une chaîne créative potentiellement sans fin…

Pour mieux comprendre l’importance de la mise en place de ces éléments, il faut pouvoir visualiser la chaîne de production actuelle et le mettre en perspective avec une architecture numérique permettant l’éclosion de nouvelles chaînes de valeur.

La chronologie des médias est au bord de la rupture

On le lit dans la presse, on l’entend dans les festivals, on le voit dans les chiffres d’exploitation, on le pressent à travers les usages du grand public: la diffusion des œuvres cinématographiques ne peut plus reposer sur la seule chronologie des médias pour atteindre les publics.

Comme on peut le voir sur ce schéma, la chaîne de production cinématographique classique (qui est aussi celle de Bord Cadre films, actuellement) est focalisée sur très peu de livrables, qui arrivent au compte goutte en bout de production, avec principalement les désavantages suivants:

  • il est trop tard pour se faire connaître et engager de manière originale les publics, qui n’ont souvent que quelques jours et au mieux quelques semaines pour se décider d’aller voir un film;
  • il y a une déconnexion entre les diffusions éventuelles sur les plateformes VOD et la structure de production; au mieux il y a un lien bi-directionnel entre le producteur et la plateforme – mais aucune autre valeur ajoutée (dû aussi au manque de matériel de promotion);
  • il y a une trop forte dépendance face aux sociétés de distribution et aux exploitants, qui n’arrivent plus à faire correctement leur travail (pour de multiples raisons);
  • les informations et contenus livrés au public au moment de la diffusion ne sont pas assez originaux et différenciateurs pour sortir du lot; à moins d’avoir un énorme budget de marketing, il est quasiment impossible d’arriver jusqu’à une pleine attention des publics cible;
  • il est très coûteux de développer des nouvelles stratégies de financement, comme le crowdfunding, parce que les workflows efficaces pour une publication web dynamique ne sont pas encore en place – sans même parler de son propre site web, qui n’est trop souvent pas à jour (les processus de publication actuelles ne sont pas efficaces);
  • il est difficile et coûteux en temps d’initier des collaborations avec des partenaires en cours de production.

En résumé, la méthode de travail, les outils utilisés et la chaîne de valeur orientée exclusivement autour d’un objet statique (le film) n’est plus en phase avec le monde actuel.

Comment alors pouvoir développer des nouvelles chaînes de valeur, complémentaires et innovantes ?

Les nouvelles chaînes de valeur au sein d’une plateforme web pour le cinéma

Voici un exemple d’architecture d’un système logiciel orienté sur une diffusion et publication plurielle.

Ce schéma présente ce que nous désirons mettre en place pour Bord Cadre films avec ce projet de transformation, avec les avantages et opportunités suivantes:

  • toutes les étapes de la chaîne de production sont interconnectées pour les collaborateurs, les partenaires externes et même une partie du public actif, via des outils dédiés et / ou une base de données; cela permet de pouvoir facilement créer des contenus additionnels, de mieux collaborer et d’initier des des projets spécifiques en cours de production (crowdfunding, collaboration sur la recherche et l’écriture, constitution d’une communauté en lien avec une thématique, création de contenus collaboratifs etc);
  • il y aura moins de dépendances face aux distributeurs et exploitants, parce que nous allons nous focaliser sur le développement de relations de qualité avec des utilisateurs / spectateurs / fans, en les impliquant dès le départ dans la chaîne de production d’un projet (cf ci-dessus) – nous allons développer notre propre réseau d’ambassadeurs qui vont pouvoir relayer des informations et devenir des parties prenantes de nos projets;
  • nous allons avoir plus d’arguments lors de la vente de droits auprès des diffuseurs (plateformes, télévisions etc), d’une part parce que nous allons pouvoir livrer plus de matériel promotionnel, et surtout faire valoir une communauté d’ambassadeurs activée tout au long du processus de production. Il est évident que cela va prendre du temps, mais aujourd’hui on voit que ce qui compte sur Internet, c’est la qualité du réseau que l’on a pu constituer – il est donc vital de le faire au plus vite;
  • on le voit sur le schéma: on passe d’une méthode de travail en mode “chute d’eau” (une étape après une autre) à une méthode de travail agile, avec des itérations et des publications plus rapides et incrémentales. Il s’agit de la transformation la plus importante dans tout le projet: changer les habitudes de travail et ce que l’on pense devoir livrer comme valeur…

Pour la réalisation technique du projet, s’agit essentiellement de personnaliser un ensemble de solutions logicielles existantes (Airtable ou similaire, Notion etc), de développer des composants et des applications web spécifiques à nos besoins (CMS, site web) et surtout de créer des passerelles entre tous ces logiciels et toutes les diverses étapes de production et de diffusion.

Rendez-vous dans quelques mois pour des premiers résultats de notre plateforme web pour le cinéma.

J’espère avoir titillé votre curiosité, si vous êtes arrivé jusqu’à ici: pour être tenu au courant de la suite de ce projet, je propose une newsletter 🙂



 

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