Est-ce qu’il est possible de travailler à distance sur des heures de rushes vidéo, pour produire collaborativement le montage d’un documentaire ainsi que des courtes capsules vidéos pour une plateforme web participative ?
Nous sommes en 2023, la plupart des applications classiques ont leur pendant collaboratif dans le cloud sous forme d’application web, où tout se passe en ligne dans le navigateur. Il y a également une myriade d’outils web qui permettent de monter facilement des vidéos en ligne, sans devoir installer un logiciel sur son ordinateur. Cependant, malgré leurs forces (ils proposent des fonctionnalités, comme la transcription et sous titrage automatisé que des mastodontes de la vidéo ne permettent pas), ces logiciels web ne sont pas encore adéquats pour la réalisation de projets plus conséquents.
Ma question est donc: est-ce qu’il y a des solutions pour utiliser l’application de montage Final Cut Pro X de manière collaborative à distance et sans se ruiner avec Postlab ? Il y a bien des solutions collaboratives pour d’autres logiciels comme Première Pro ou Resolve, mais qui incluent des abonnements coûteux dès lors que l’on a quelques térabytes de rushes.
Lorsque Blackmagic Design a sorti le Cloud Pod en 2022, je me suis dit: enfin une solution simple et peu onéreuse pour partager des rushes et réaliser un montage à distance.
Après plus de 6 mois de tests et de bricolages, je déchante largement.
Ce billet raconte ce que j’ai appris, en espérant que cela puisse être utile à d’autres.
En résumé, le montage collaboratif avec Final Cut Pro et des proxies partagés via le Cloud Pod et Dropbox ne fonctionne pas.
Par contre, de travailler via Dropbox en local, en partageant une bibliothèque et des rushes stockés sur son disque dur interne, cela fonctionne (pas pour tout le monde). Ce qui est aussi peut-être possible, mais je ne l’ai pas testé, c’est le montage collaboratif sans générer des proxies; mais pour des projets avec beaucoup d’heures de vidéo cela va coûter cher en abonnement Dropbox.
Le projet
Comme je le raconte dans ce billet, le projet « Sur les chemins de l’inclusion » propose deux livrables: un film documentaire et une plateforme vidéo, qui donne accès à des capsules vidéo thématiques, sur un mode conversationnel. Je reviendrais plus longuement sur ce projet avec un billet spécifique.
Pour des raisons qui me semblent évidentes, ce projet pourrait être l’archétype d’un futur possible de la production cinématographique documentaire: à côté du film (classique), on valorise une partie de ses rushes et de son expertise sur une plateforme vidéo, qui peut évoluer et vivre au gré des usages.
Pour aller plus loin dans cette réflexion et si cela vous intéresse, je vous propose de lire ce billet qui dépeint une future plateforme pour la production cinématographique.
Pour revenir sur l’enjeu du montage collaboratif à distance, voici une description formelle de ce projet:
- Tournage en mode multicaméra (entre 4 et 5 caméras) d’ateliers participatifs (8 heures de rushes en 4K par atelier);
- Création d’un montage multicaméra pour chaque atelier (une dizaine);
- Export d’une version optimisée pour générer une transcription (avec SimonSays), et ainsi pouvoir dérusher sur base de ce qui est dit. Cette opération va aussi permettre de valoriser des extraits textuels pour tous les autres besoins du projet;
- Montage du film documentaire, en relation à distance avec…
- les montages de capsules vidéo courtes pour la plateforme.
L’enjeu principal est de pouvoir mutualiser au maximum le travail éditorial de sélection, de dérushage, de prémontage et de postproduction entre les deux types de livrables.
Jusqu’à où peut-on aller avec cette mutualisation et réflexion collaborative à distance, et comment établir un workflow idéal et peu onéreux ?
La théorie, c’est bien joli
Voici comment j’ai imaginé pouvoir travailler de manière collaborative et efficace pour ce projet:
On voit qu’il y a un alliage entre une application « traditionnelle » (Final Cut Pro) et des applications web et cloud, le tout relié par une passerelle hardware: le Cloud Pod.
J’ai essayé de mettre en pratique cette belle théorie, mais j’ai eu deux types de soucis:
- difficulté de trouver les bons composants hardware pour faire fonctionner le partage en réseau;
- bugs et limites logicielles avec le bundle Final Cut Pro (le fichier de montage spécifique à FCPX), avec les proxies qui n’arrêtent pas de se retrouver déconnectés…
Ces problèmes à tous les niveaux m’ont fait abandonner cette piste collaborative, pour revenir à la bonne vieille méthode traditionnelle: on synchronise à la main les disques durs, en se rencontrant de temps en temps.
Voici les détails des soucis rencontrés, qui j’espère permettront d’éviter des prises de têtes à d’autres personnes…
La pratique avec le hardware, c’est bien fragile
En premier lieu, il fallait que je mette à jour mon réseau interne, pour pouvoir exploiter à pleine capacité le Cloud Pod. Le principal atout de cet appareil est de pouvoir brancher un SSD à son ordinateur, en passant par le réseau RJ-45 (et donc de permettre un accès collaboratif à ce disque).
Pour que cela fonctionne bien, il faut:
- Un adaptateur USB-C vers RJ-45 à 5GbE minimum, idéalement en 10GbE;
- Des câbles RJ-45 en CAT6a;
- Un Switch RJ-45 avec au minimum 2 ports en 10 Gigabit
- Et bien sûr un Cloud Pod et un disque SSD en USB-C
J’avais déjà les câbles. Le Switch QNAP QSW-2104-2T (autour de 150.-) semble être un bon produit pour pouvoir connecter tous ces appareils. Celui que j’ai acheté fonctionne bien, mais comme je n’ai pas encore réussi à trouver un adaptateur USB-C vers RJ-45 qui fonctionne correctement, je n’ai pas pu vérifier la fiabilité de ce produit à plein débit.
Le souci, comme vous pouvez le déduire, c’est l’adaptateur de son ordinateur vers le réseau. J’ai testé 4 produits différents, et un seul m’a donné des résultats moyens qui tiennent à l’usage. Tous les autres ne fonctionnent pas: les débit sont minables, et / ou la pièce se déconnecte sans arrêt.
Je déconseille donc fortement les produits suivants:
- QNAP QNA-UC5G1T (j’ai essayé trois différents, rien à faire. Il semble fonctionner sous Windows avec les bons pilotes, mais sur OSX, rien à faire)
- Delock 66088 (la pièce chauffe à mort et se déconnecte, débits minables)
- Trendnet TUC-ET5G (idem, déconnexions et mauvais débits)
Le seul qui tient la route, mais sans offrir les débit promis, c’est le Choietech (qui est en plus pas trop cher). Il est super pour écrire des fichiers sur le SSD via le réseau, mais par contre en mode lecture, il est bien plus lent que du « simple » Gigabit Ethernet, voir la capture d’écran:
Pour faire du montage vidéo, autant dire que cela ne joue pas; on se retrouve projeté à des années en arrière, avec des débits dignes de l’USB 2.0. Le problème est peut-être dans le Switch, qui peine à délivrer le bon débit en lecture ? Ou est-ce une limite dans ma version OSX ? Ou est-ce un manque de chance ?
Malheureusement l’adaptateur ultra cher de Sonnet n’était pas disponible à ce moment; sans doute qu’avec ce produit professionnel cela aurait pu fonctionner.
Je n’ai pas eu le courage de tester avec un autre Switch (j’ai déjà bien chauffé le service après-vente de Digitec avec tous ces tests d’adaptateurs) ou me ruiner avec l’adaptateur de Sonnet, parce que les problèmes ne se sont pas arrêtés là.
La pratique avec le software, c’est bien fragile aussi
En essayant de mettre en route le workflow vidéo, je me suis cassé les dents sur deux soucis récurrents:
- Corruption du bundle Final Cut Pro (le fichier de montage), lorsqu’il est partagé par un service cloud;
- Corruption aléatoire et arbitraire des proxies dans le projet Final Cut Pro, indépendamment de Dropbox.
Mais dans l’ordre. Pour faire fonctionner le montage collaboratif, une fois que le hardware est installé, il faut:
- Un abonnement d’équipe chez Dropbox (coût: un peu moins de 500.- pour une année et 3 personnes)
- Final Cut Pro sur toutes les machines
- L’application Cloud Store Setup (gratuit)
Une fois que le Cloud Pod est raccordé en RJ-45 au Switch, que la mise à jour du firmware est faite, on peut connecter un SSD. Celui-ci se laisse monter comme un disque réseau sur son bureau. Pour partager ce disque via Dropbox, il faut ajouter le service dans l’application Cloud Store Setup, se connecter à son compte Dropbox, puis définir les dossiers racines à synchroniser.
Ce qui est particulier, c’est qu’il est seulement possible de se synchroniser avec son propre dossier utilisateur sur Dropbox, et pas à la racine de son compte Dropbox. Il faut alors donner des accès spécifiquement à ce dossier, ce qui donne parfois des comportements bizarres (l’interface de gestion des partages de Dropbox n’est vraiment pas intuitive).
Après une première synchronisation, le fichier de montage est corrompu, la version sur Dropbox n’a pas la même taille…
Face à ces soucis, j’ai contacté le support Dropbox, le support Apple et le support Blackmagic, et sans surprise, chacun renvoie les problèmes à l’autre. Pour Apple, c’est à cause de Dropbox. Pour Dropbox, c’est l’usage du Cloud Pod. Pour Blackmagic, c’est Dropbox et Apple.
Pour avoir le cœur net, j’ai aussi essayé de synchroniser le bundle Final Cut Pro avec deux autre services cloud: le pCloud Drive et Resilio Sync. Même souci: pCloud Drive n’accepte même pas le fichier FCP à la base (Erreur 100078), et Resilio Sync le corrompt aussi.
Morale de l’histoire: le format en bundle de fichier Final Cut Pro n’est pas compatible, la plupart du temps, avec les services cloud. La plupart du temps, parce que j’ai réussi à faire un montage collaboratif au début de l’année 2022 via Dropbox en local, sans passer par le Cloud Pod ou un disque externe.
Concernant cette corruption des proxies, j’ai trouvé une solution qui a fonctionné un temps: il faut générer les proxies en copiant les évènements d’une bibliothèque en local vers un projet Final Cut Pro sur le SSD derrière le Cloud Pod. Final Cut va alors générer les proxies dans un dossier à l’extérieur du bundle FCP, et pas à l’intérieur (comme c’est le cas en local).
Mais une fois que l’on commence à synchroniser avec Dropbox, tout se casse, sans pouvoir le réparer.
Morale de l’histoire: les proxies c’est vraiment fragile. Et le montage collaboratif, ce n’est pas encore ça.
Pour terminer sur une note d’espoir, je vous met la réponse de ChatGPT à ma question:
Je suis content d’apprendre que Final Cut Server existe toujours (le produit est mort depuis 2011); le stockage du fichier Final Cut par un service de stockage corrompt le bundle; les logiciels mentionnés ne permettent pas le partage à distance des montages, mais que des vidéos individuelles.
Est-ce que je suis le seul à avoir besoin de ce genre de fonctionnalité ? Qu’en pensez-vous ?
S’il y a des personnes qui sont intéressées par la question, je vais continuer à creuser…
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