Mené conjointement avec les architectes Agnès Perreten et Ivàn Vuarambon, cet atelier pour les étudiant.e.s de 2ème année de l’HEPIA proposait ce type de questionnements:
Comment combiner des cartes sensibles et des récits d’habitants pour faire émerger des nouvelles idées d’architecture et d’urbanisme ?
Comment faire participer les habitant.e.s d’un quartier aux potentialités de leur bout de ville ?
Comment créer ensemble un espace de concertation et d’échanges, en profitant des outils digitaux ?
Entre le 5 et le 7 mai 2022, nous avons présenté les fruits de ce projet d’expérimentations menées entre 2020 et 2022 dans le cadre de l’événement HES x EXPLORE.
Ce billet propose:
- La présentation du projet
- Une explication de notre processus collaboratif numérique
- Une réflexion personnelle sur les projets pédagogiques utilisant le numérique
Avant de plonger dans le billet, voici une image de l’un des moments de l’atelier (printemps 2022)
Présentation du projet
Le projet « des cartes et des rêves » propose des expérimentations sur la représentation sensible d’un quartier et une réflexion sur comment imaginer la ville de demain sur une base de co-création avec ses usagères et usagers.
Conduit par les étudiantes et étudiants de deuxième (puis troisième année) d’Architecture de l’HEPIA, il s’articule autour d’un processus participatif.
Archives historiques, récits, témoignages et interactions avec les habitant-e-s sont le terreau dans lequel les étudiant-e-s puisent pour rêver la ville, de manière participative. Les représentations cartographiques qui en découlent peuvent alors devenir un appareil à repérer et imaginer un quartier vivant, articulé par les imaginaires partagés qui se visualisent et se racontent.
Confectionnées par les habitant-e-s et les étudiant-e-s, les multiples cartes évoquent différents aspects des parcours quotidiens et usages de l’espace public partagés par les acteur-trice-s d’un quartier. Elles esquissent ainsi, à travers des interventions basées sur la perception et la concertation, des aménagements imaginés pour améliorer la qualité des espaces urbains.
Le projet installé dans le cadre de HES x EXPLORE
L’installation présentée à l’HEPIA au sein de l’évènement bisannuel des HES-SO genevoises montre les différents outils convoqués lors de nos expérimentations et les livrables produits.
Cartes mentales, images, vidéos et approches digitales mettent en en scène le processus du projet. Des déambulations urbaines initiales jusqu’aux ateliers de réflexion avec les habitant-e-s, les visiteur-euse-s de l’évènement ont pu découvrir le processus d’une cartographie sensible du quartier de la Prairie, dans lequel se trouve l’HEPIA.
Les enjeux
Un des buts de notre atelier était de sensibiliser les étudiant.e.s sur l’importance et le potentiel de la participation citoyenne, mise en place à partir de leurs propres perceptions sensibles et subjectives du territoire. C’est à partir de la multiplicité des informations récoltées qu’il devient alors possible de concevoir un projet urbain « connecté » à la réalité du terrain, et pas hors-sol dans un bureau comme c’est encore souvent le cas.
La difficulté qui surgit, c’est la question de la « profondeur » des informations que nous pouvons traiter, et sur quel laps de temps. Notre projet réalisé dans le cadre limité de cet atelier a évidemment procédé qu’à des petits « carottages » ponctuels dans le territoire; l’approche étant subjective et sensible, nous n’avons pas considéré les données statistiques.
L’objectif de la carte participative numérique est de proposer une sorte de mille-feuille interactif, permettant de comprendre et de percevoir les multiples couches qui façonnent un espace de vie urbain: les traces du passé, les multiples fragments hétérogènes du présent, les sensations récurrentes et partagées qui sédimentent une topographie sensorielle qui reste trop souvent invisible, les nouvelles dynamiques qui contiennent les devenirs du territoire…
Nous espérons que ce prototype donne des idées, malgré toutes ses limites évidentes:
- À l’institution HES-SO: pour créer puis développer des outils numériques qui jettent des ponts entre les différents métiers, en phase avec les enjeux actuels de la société (moins de gaspillage de ressources, éviter les one-shot dépensiers, considérer les écosystèmes et les circuits courts, imaginer des hybridations de métiers…);
- Aux professionnels: pour imaginer et utiliser des flux de travail moins techniques, stratégiques ou conceptuels, plus créatifs et plus proches des habitants et des usages « grand public »;
- Aux habitants, au public: pouvoir découvrir son quartier avec une approche plus sensible, personnalisée et surtout, participative…
Les traces digitales du projet
Voici le lien pour interagir avec ce prototype de carte digitale.
Mettez un casque pour pouvoir bien écouter votre « remix » du territoire…
Voici une playlist de vidéos qui synthétisent divers moments de l’atelier:
Notre processus collaboratif numérique
Pour permettre aux étudiant.e.s de rassembler les témoignages, interviews et images et pour produire de manière collaborative la carte digitale, j’ai mis en place les outils suivants:
- Notion comme centre de ressources, boite à outils et tableau de bord pour créer puis gérer les données
- Airtable comme base de données centrale (invisible pour les étudiant.e.s)
- MiniExtensions pour les formulaires intégrés à Notion (avec login pour les étudiant.e.s et ouvert pour le public)
Avec un seul lien vers la plateforme Notion (voir la capture d’écran ci-dessous), les étudiant.e.s avaient ensuite accès à toutes les informations et outils pour collaborer et contribuer à la carte participative.
Le développeur David Hodgetts a ensuite utilisé les API’s d’Airtable pour récupérer les données dans une base de données optimisée pour la carte participative.
Voici quelques captures d’écran des interfaces créées exprès pour le projet:
Le tableau de bord pour le projet dans Notion
Un formulaire Airtable intégré dans Notion
Airtable et MiniExtensions intégrés dans Notion
Notre base de données centrale, dans l’application web Airtable
Le formulaire construit avec Miniextensions, pour ajouter des commentaires sur la carte
Comme nous avions un budget limité et que notre démarche était expérimentale, il était primordial de pouvoir « bricoler » rapidement et efficacement, sans devoir faire appel à un informaticien. Le travail du développeur se limitait donc à ce qui était spécifique à notre projet: l’application web de la carte interactive.
L’usage de ces outils « no code » a les avantages suivants:
- pouvoir créer des bases de données relationnelles dans le navigateur, sans devoir programmer;
- tester rapidement des hypothèses, se faire une idée du résultat via un prototype;
- ces outils sont interopérables et peuvent facilement s’intégrer dans et avec d’autres outils;
- pour démarrer et pour tester ces outils sont gratuits; ensuite les frais mensuels sont abordables.
Le désavantage, c’est de devoir mettre en route 3 outils différents. Je suis en train de tester Notion de manière plus extensive, pour voir s’il peut avantageusement remplacer Airtable et MiniExtensions.
À suivre…
Réflexion personnelle sur les projets utilisant l’outillage numérique
Les lignes qui suivent sont le fruit d’une réflexion personnelle plus large portant sur la difficulté d’enseigner avec les outils numériques.
En effet, ce que je vais décrire ici n’est pas spécifique à ce projet – d’où l’intérêt de porter peut-être un peu plus d’attention sur les enjeux suivants pour mieux réussir le prochain projet utilisant des outils numériques.
- On présuppose que les étudiant.e.s sont au fait de toutes les bonnes pratiques numériques, ce qui n’est pas le cas. La plupart se débrouillent bien, bricolent avec agilité en mode cowboy solitaire – mais comme toute leur attention est portée sur la production d’un livrable figé, ils passent à côté (sans le savoir) des potentialités liées au collaboratif qui dépasse l’instant présent. Dit sous forme de boutade: ils n’ont pas conscience de ce qu’est une base de données qui communique avec le monde… Sans oublier qu’une partie importante de cette nouvelle génération est en fait assez nostalgique des temps analogiques, et a une sorte de rejet profond de l’outil informatique (tout en étant tout le temps connecté à Instagram…).
Je reviendrais sur ce point de manière plus détaillée avec un autre billet, parce que c’est à mon avis à cause de ce manque de compréhension de l’outil informatique que la plupart des projets digitaux perdent des usages potentiels et plafonnent vite lorsqu’ils s’exposent dans le monde numérique (qui a envie d’interagir et de revenir devant un projet figé ?); - On pense que les outils numériques sont des moyens pour arriver à des fins, alors qu’ils sont bien plus que ça. Pour illustrer ce point dans le cadre de ce projet, il suffit de considérer la carte numérique: elle n’est pas un aboutissement, un livrable comme le serait une maquette ou des concepts expliqués sur un PDF – mais elle est autant un espace de consultation qu’un outil de production, tout en restant évolutif au gré des besoins et des usages.
C’est tellement énorme la différence avec ce que nous avons l’habitude de produire jusqu’à maintenant que cela donne vite le vertige… et donc une réaction normale: on juge le résultat sous des aspects esthétiques et formels et on voit vite que comparé à Facebook ou Instagram, on n’y retournera pas. - On appréhende le numérique comme étant une fenêtre vers de l’utile et du pratique, avec son gros pourcentage de ludique et d’entertainment; mais pas encore vraiment comme un espace-temps à part entière pour un voyage poétique, sensible, organique, vivant, généreux…
Le cinéma a démarré comme attraction populaire dans les foires avant de devenir 7ième art 30 ans plus tard; quels effets artistiques et sensibles pourrait produire l’usage natif de l’outil informatique ? J’ai écrit un long billet sur cet enjeu, qui reste pour moi toujours un questionnement non résolu…
Cette petite digression par un exemple historique me permet d’en venir à mon point: en dehors de certaines expériences de gaming, il me semble qu’il manque terriblement cette dimension sensible et poétique dans l’usage de l’outil informatique, pour ce qu’il est: du calcul, en réseau.
Ne serait-il pas temps de tenter des projets qui allient les fonctionnalités d’un outil logiciel avec l’expérience sensible d’une histoire qui se déroule par le fil d’une interaction ?
Il est évident qu’une école ne peut pas résoudre à elle seule ces enjeux; cependant je me dis que nous pouvons déjà mettre en œuvre les actions suivantes:
- Proposer des modules / ateliers / cours qui se concentrent spécifiquement sur la compréhension de l’écosystème numérique, par le biais d’expérimentations concrètes et de questionnements plus philosophiques. Cela permettrait d’aller plus vite plus loin lors de tous les autres ateliers et projets qui doivent produire des livrables (comme notre projet par exemple);
- Inviter des personnalités et experts qui présentent des approches originales basées sur une forte transversalité entre des métiers spécialisés, en utilisant les outils informatiques. Je le vois très clairement dans le monde du cinéma, mais aussi dans celui de l’architecture: si l’on reste qu’avec des spécialistes du même domaine pour essayer de faire avancer les choses, on ne va pas y arriver. Il faut métisser, faire des pas de côté, stimuler sa curiosité en découvrant des approches différentes d’une même problématique… Parce qu’à force de se concentrer que sur l’aspect « professionnaliser la profession », on va vraiment tourner en rond.
Je vais m’arrêter là pour le moment; je compte bien revenir via un autre billet sur ces enjeux, pour amener la réflexion plus loin. En attendant, je suis bien entendu ouvert à toute réaction ou commentaire à ce questionnement.
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