Quels sont les problèmes que rencontrent les producteurs de contenus lorsqu’ils veulent produire des contenus connectés au monde d’aujourd’hui ?
Le monde a profondément changé depuis l’industrialisation de la machine cinéma dans les années 1930 – et pourtant, on continue de travailler avec les mêmes méthodes et réflexes de production, comme si nous avions toujours les mêmes outils dans les mains…
Maintenant on écrit son scénario avec un traitement de texte (qui a simplement remplacé la machine à écrire), puis on cherche l’argent (le job du producteur – a-t-il vraiment changé ?); une fois que l’on a les ressources financières nécessaires (ou le matériel et les ressources humaines) on crée les images avec une caméra (qui s’est subrepticement transformé en ordinateur bridé avec un oeil) que l’on dérushe péniblement (mais qui ordonne vraiment ses rushes de manière structurée ?).
Puis vient le long moment du montage (de plus en plus long, du fait que l’on tourne de plus en plus de contenus), où l’on est assis en mode solitaire comme le cowboy sur son cheval en face de son outil de montage (un ordinateur bridé de sa connectivité en réseau et de sa capacité de calculer autre chose que des pixels).
L’accouchement du film via une « timeline » (qui est en fait une playlist issue d’un filtrage et tri de notre base de données de contenus) et une encapsulation dans un container va empêcher les images de raconter autre chose que la volonté de l’auteur. Final Cut For Ever.
Bien sûr il y a une multitude de variantes à ce workflow – mais dans les grandes lignes il y a toujours les trois principales étapes que sont la création de contenu (écriture et tournage), l’éditorialisation (le montage) et finalement la diffusion (sortie cinéma, exploitation télévision et mise en ligne).
Et malheureusement ces trois étapes sont encore beaucoup trop déconnectées et séparées les unes des autres – alors qu’il est techniquement possible d’injecter des images directement d’une caméra dans un film déjà en ligne… There Is No More Final Cut.
Alors voici quelques paragraphes sur les points qui – d’après moi – posent problème dans la mise en orbite d’images en mouvement dans le monde hyper connecté d’aujourd’hui.
Outil: il n’existe pas vraiment de logiciel (ou plutôt: de plateforme logicielle) pour éditer des données afin de répondre de manière maîtrisée et cohérente à tous les besoins décrits dans la page « besoins en terme de Storytelling« .
- Les outils actuels proviennent d’un écosystème en train de disparaître (les médias traditionnels font place à leurs traductions numériques: le journal papier cède la place à l’édition numérique, le cinéma argentique est devenu numérique etc). Mais on travaille toujours avec des outils logiciels dont l’ADN date de l’ancien monde… (skeuomorphisme de l’interface et du modèle économique).
- Le passage au numérique n’est pas que la digitalisation des données et la traduction des outils connus en logiciels: il faut repenser complètement le rapport à la production pour concevoir des outils « natifs » avec les possibilités et contraintes du numérique.
- En résumé, il s’agit surtout de mettre en réseau des données (et plus « mettre en silo ») et de gérer cette mise en réseau (produire une dynamique d’interaction et de relai plutôt que de vouloir maîtriser des usages verrouillés…).
- Il y a donc le besoin de gérer les contenus mais également – et peut-être surtout – les usages…
Workflow: mieux intégrer et lier les phases de production de contenus (tournage), édition de contenu (montage) avec la mise à disposition de contenu (diffusion).
- On pense interactivité en mode arborescence (cf CD-ROM ou le web des années 90) et structure narrative en formule linéaire (comme n’importe quel film au cinéma ou sur Youtube), alors qu’il faudrait penser base de données et génératif. Le flux remplace l’objet.
- On pense résultat (objet) alors qu’il faudrait penser processus (flux). On veut aboutir à un résultat prévisible (et donc figé) alors qu’idéalement (si on veut être « natif » avec le numérique et en profiter un maximum) il faudrait tendre à un processus via des petites itérations (méthodologie agile) qui puissent aboutir à des résultats évolutifs et vivants (acquérir de nouveaux publics & engager ces publics).
Subir les nouvelles technologies plutôt que d’en profiter.
Nous avons:
- le problème de la vitesse des évolutions et changements (cycles de plus en plus courts);
- plus de recettes éprouvées qui tiennent dans le temps (business model & workflow techniques);
- la perte de valeur des outils (la production de contenus est à la portée de quasiment toutes les bourses);
- la dilution des compétences spécialisées dans un monde où c’est l’intégration qui l’emporte… APIs Rule The World.
Financement: le modèle de financement actuel (subventions, recettes de ventes et droits d’auteurs) ne suffit plus pour affronter les nouveaux enjeux.
- Il faut des entrées complémentaires (crowdfunding, vente de services et pas seulement de contenus), avec l’écueil de ne pas devenir trop dépendants des flux mouvants liés aux recettes publicitaires (qui suivent la masse du public);
- pouvoir trouver des recettes et financements sans devoir passer par autant d’intermédiaires (qui prennent leur pourcentage au passage sans forcément apporter de valeur supplémentaire): le chemin du producteur de contenu / auteur vers le spectateur est devenu plus court et ne passe plus nécessairement par un intermédiaire (société d’ayants droits, distributeur, exploitant etc)…
Quelques clefs / pistes de réflexion.
- ne pas seulement penser contenus diffusés via des médias (web, tv, cinéma, presse etc) mais contenus intégrés / agrégés dans une plateforme de services (web, applications, API’s etc).
- ne pas seulement penser produits fermés (films, mixes, livres) mais dispositif logiciel lié à des contenus à la granularité la plus fine possible (le plan, le sample, le chapitre)
- ne plus penser audimat (public cible passif) mais relais (public actif et engagé qui « passe le témoin »)
- le réalisateur devient encore plus chef d’orchestre: il doit créer les contenus et les mettre en forme, mais également « designer » les formules d’interaction entre le fond/forme et le public (scénographier l’espace d’interaction, designer les interfaces d’accès aux contenus…)
- faire confiance au public: valoriser son activité (définir et instaurer des espaces personnels, une logique de récompense), lui donner une place (la plus individuelle possible, qui puisse aussi évoluer dans le temps)