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Divers Formation

Quel outil prendre pour le tournage de vidéos ?

Il y a encore moins de 10 ans, la question aurait semblé absurde: pour tourner des vidéos, il faut utiliser une caméra vidéo.

A regarder cette boucle quelque peu ironique et en la comparant avec les pratiques actuelles, on est plus si sûr de devoir forcément dégainer une de ces caméras pour « mettre en boite » une vidéo que l’on veut proposer au public.

Ce qui est aujourd’hui une évidence pour le grand public – le smartphone a largement remplacé la caméra dédiée (voir les statistiques en fin de billet) – ne l’est pas encore vraiment pour le professionnel du cinéma.

Pour des raisons évidentes: le professionnel a besoin de définir précisément l’esthétique de l’image et de maîtriser les paramètres techniques (durée et « stabilité » de l’enregistrement etc), le tout dans un emballage maniable et costaud.

Mais aussi pour des raisons moins évidentes: par réflexe et héritage culturel (on a toujours fait comme ça), pour que ça « fasse sérieux » et pro ou simplement parce que le workflow de création de films est construit sur la séparation des tâches, opérées par des spécialistes qui viennent avec leurs outils dédiés.

On fait des films pour les pixels ou pour des spectateurs ?

Ce billet se propose de revoir (de manière moins provocante que ce titre de chapitre) les arguments qui guident notre choix pour définir l’outil de prise de vue, en  se concentrant sur un comparatif entre la caméra vidéo classique et le smartphone. Ce comparatif est plus ciblé sur les usages et les besoins que sur les spécifications techniques brutes.

Pour le dire tout de suite: je suis largement influencé par les questions liées au workflow global (de la caméra au spectateur) et par les enjeux du partage public.
Le piqué de l’image ou la profondeur de champ réduite ? C’est joli et ça fait cinéma, mais ces caractéristiques esthétiques ne sont qu’une partie de l’équation à résoudre.

Pour moi, la « mission » d’une proposition artistique est de mettre en mouvement les émotions et l’intellect de la personne à qui l’on destine son geste créatif. Encore faut-il pouvoir trouver son public et amener son travail dans le contexte de ses spectateurs / utilisateurs…
Vu sous cet angle, peut-être que l’on va pouvoir moins se focaliser sur les pixels et mettre plus d’accent sur la création de liens entre sa proposition et les besoins ou attentes du public.

Sachant que le public bouge et n’a plus les mêmes attentes et habitudes qu’il y a encore 10 ans…

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Prise de vue

On a l’embarras du choix pour l’outil de prise de vue, parce qu’en plus des caméras vidéo traditionnelles, on a les:

  • appareils photos
  • smartphones
  • drones
  • action cams (GoPro etc)
  • caméras 360°
  • caméras 3D
  • caméra Lytro
  • cameras portées comme accessoire (lunettes de soleil, ou oreillette)

Il y a toujours eu des caméras spécialisées (la 3D existe depuis longtemps; idem avec les caméras pour créer des ralentis etc).

Ce qui est (relativement) nouveau, c’est qu’il est possible de réaliser une vidéo pour le web ou même un film pour le cinéma en utilisant ce qui était un temps appelé « téléphone ».
Ou de faire voler un hélicoptère augmenté d’un capteur vidéo, de porter des lunettes de soleil munis d’un œil enregistreur…
Sans même parler du fait de réaliser un film avec un appareil photo, ce qui est même devenu une mode et a relancé momentanément les actions de Canon ou Nikon.

En somme, d’utiliser un appareil qui ne s’appelle pas caméra vidéo pour créer une vidéo.
Mais en quoi est-ce vraiment important ? Tant que l’on a des images qui bougent dans l’esthétique voulue, quelle est l’importance du nom que l’on donne à son outil de prise de vue ?

Comme souvent, il ne faut pas se fier aux apparences, mais se concentrer sur les valeurs intrinsèques.
Un smartphone c’est un ordinateur, capable de calculer (et donc de changer, de faire vivre et évoluer) des données qui se trouvent en mémoire interne, mais également distribuées en réseau. On est en mode lecture / écriture directe avec le monde.
Une caméra, c’est un ordinateur bridé qui peut seulement écrire des données qui lui sont fournies par le capteur vidéo.

Prise de décision

Du coup, on est dans l’embarras du choix: quelle caméra outil de prise de vue utiliser pour son prochain tournage ?

La tête qui tourne, on file chez Sony, Panasonic ou RED, parce que l’on ne veut pas se payer la honte en fixant son smartphone sur le trépied du set de tournage.
En effet, parce que hormis quelques rares films réalisés avec un smartphone et qui ressemblent à de coups de marketing, la création vidéo sérieuse se produit toujours avec des outils dédiés et professionnels.

Les constructeurs historiques nous rassurent en sortant plusieurs nouveaux modèles par année, tout en gardant bien le même « form factor » (oui, une caméra ressemble toujours à une caméra).

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Sauf que…

Le prix. Oui, les prix ont chuté, mais pourquoi payer plus de 2000.- € une caméra vidéo qui tourne en 4K alors que mon smartphone peut filmer avec la même résolution pour bien moins cher (en plus qu’il me permet aussi de checker mes mails et de mettre à jour mon budget du tournage) ?

La difficulté d’usage. Malgré de multiples efforts de simplification (au détriment de la maîtrise fine et efficace), les caméras classiques restent compliquées à utiliser correctement. Une bonne application smartphone comme FilmicPro permet de réaliser quasiment les mêmes réglages que sur une caméra professionnelle.
A ce sujet, voir mon billet sur les application mobiles de création vidéo.

Lenteur et complexité du workflow. Une fois que la prise de vue est effectuée, il faut brancher la caméra à un ordinateur ou y connecter la carte SD, puis transvaser les fichiers. Renommer, importer, dérusher, organiser, monter et finalement exporter le montage. Entre le moment de la prise de vue et le moment de la mise à disposition, au mieux de nombreuses heures passent.
Souvent, des années.
Et au bout du chemin, une fois que son film sort sur les écrans, on a perdu l’accès et la motivation pour valoriser les contenus qui nous semblaient si prometteurs au moment du tournage.
En comparaison, les vidéos tournées avec son smartphone peuvent exister tout de suite, de manière cohérente, pour des usages publics. En complémentarité avec la vidéo que l’on réalise de manière classique, et non pas en contradiction ou en concurrence…

Retour sur investissement. Ou dit autrement: la difficulté d’amortir son achat aussi vite que l’outil perdant de sa valeur. Au rythme où défilent les modes (3D, 4K, 360° etc), on a plus le temps d’amortir puis rentabiliser ses investissement matériels. Le salut se trouve alors peut-être dans la valorisation des contenus que l’on a créé ? Encore faut-il repenser le modèle économique de la chaîne de valeur liée à la vidéo et au cinéma… Quelques pistes de réflexion à ce sujet.

Internet n’est pas une salle de cinéma.

Aujourd’hui, nos images doivent exister au delà du cinéma ou de la télévision.
Ce qui semble une évidence n’est visiblement pas encore une réalité pour la grande majorité des producteurs de contenus indépendants. Il suffit d’aller voir leurs sites web ou de chercher plus d’informations sur un film qui passe dans un festival – on repart très souvent bredouille, avec au mieux un texte, une bande annonce et quelques photos à se mettre sous la dent.

Ces deux médias historiques se font cannibaliser chacun de plus en plus par Internet, on le voit, on le sent – et c’est confirmé par les statistiques ci dessous.
Au final, les spectateurs voient de plus en plus de vidéos, mais plus via les mêmes canaux…

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Pour exister dans le grand tsunami de contenus, il faut donc aussi adapter ses contenus vidéo de manière à s’intégrer « nativement » à ce nouveau médium.

Le web est encore majoritairement constitué de mots (textes), et ordonné par des mots (mots clefs, algorithmes, logiciels). Une vidéo sans mots (titre, commentaire, mots clefs) ne sera simplement pas trouvée.
Mais comme il y en a des milliards de ces vidéos, comment amener sa propre vidéo au spectateur qui serait intéressé de la voir ?

Ce n’est pas en publiant son film sur YouTube ou en partageant sa bande annonce sur Facebook que le tour est joué !

J’en profite pour glisser ici une présentation qui aborde exactement ces enjeux là:

Lonesome cowboy.

La création de films est un sport d’équipe, mais si on y regarde de plus près, chacun travaille sur son outil dédié, sans être vraiment partie prenante des questions de fond qu’il s’agit d’aborder à travers la promesse artistique.
Le workflow professionnel est segmenté en moments spécifiques techniques (tournage, montage, distribution), régi par des spécialistes qui ne s’occupent que d’un moment de la gestation du projet.

Ce qui n’est pas un problème en tant que tel le devient si on repousse le travail de mise en lien des rushes entre eux et avec le monde.
Le montage commence déjà au moment du tournage ! Pas le montage traditionnel, qui consiste à mettre des contenus choisis dans une timeline, mais le montage web, qui consiste à créer des hyperliens entre des contenus et le monde qui nous entoure.

Même si certaines caméras actuelles permettent d’accéder aux images tournées depuis une tablet ou un smartphone, la « véritable » collaboration telle qu’elle est possible en utilisant un ordinateur relié à Internet est encore inscrite dans les nuages (enfin, si seulement – là c’est encore de l’ordre du mirage).

Je rêve du jour où quelqu’un va enfin construire un outil qui extérieurement ressemble à une caméra, qui a les qualités techniques d’un outil professionnel, mais dont le cœur et les entrailles sont un véritable ordinateur non bridé…
Capable de dialoguer avec le monde, par le biais des images en mouvement.

Je pariais sur Blackmagic Design ou sur GoPro pour faire le pas – mais las: ce n’est pas de ce côté là que viendra le salut.
Peut-être qu’un marchand de lunettes saura-t-il nous surprendre et faire bouger les lignes, comme Apple l’a fait avec le smartphone il y a presque 10 ans ?

En attendant cette caméra, nous avons fait partir une Comet dans le ciel.
Un peu comme une bouteille à la mer

Ce n’est pas l’outil, mais le chemin qui compte.

Alors au final, on pourrait se dire que ce qui peut guider notre choix pour l’outil de prise de vue est le regard que l’on porte sur notre horizon: quels publics et usages pour mes contenus ?

Pour cheminer en direction de cet horizon rêvé on utilise bien entendu des véhicules (nos outils de prises de vue, des caméras), mais ce qui fait « tourner » le moteur de ces véhicules c’est bel et bien le software – et les mots. Un joli véhicule qui ne fait que tourner sur lui même (ça tourne !) n’est plus très utile aujourd’hui.
Et en y regardant de plus près: cela ne l’a jamais été. Sauf qu’il y avait, avec de la chance, du talent et des sous, des personnes qui nous aidaient à pousser notre promesse vers le monde.
Comme il y a drastiquement plus de contenus créés aujourd’hui, les aides se font plus rares, plus difficiles d’accès.

Autant donc articuler notre cheminement en tirant parti de ce nouveau « carburant » qu’est le software. Et pas seulement comme force brute (automatisation) mais aussi comme source d’énergie créatrice…

Une carte pour prendre un peu de recul.

Pour synthétiser et traduire les questions principales de cet article en une image, j’ai produit un schéma qui donnera, j’espère, une vision simple des deux routes principales.

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Qui a mangé qui ?

En résumé, il est sain de se dire qu’aujoud’hui un outil de prise de vue est avant tout un ordinateur muni d’un ou plusieurs yeux.

La caméra s’est transformée en calculatrice estampillée avec plus ou moins de caractéristiques particulières au niveau hardware (capteur, stockage, calcul etc) et pourvue de fonctionnalités personnalisables au niveau software (système d’exploitation, calcul en temps réel, mise en réseau du signal vidéo etc).

Pour formuler cet état de fait de manière plus correcte: ce sont divers appareils électroniques (le plus visible étant le téléphone) qui ont été augmentés avec la capacité de filmer comme une caméra, et non le contraire.
On n’a pas encore inventé de caméra qui peut téléphoner…

Et pourtant.
Ce qui peut sembler absurde pourrait être le salut d’une branche qui menace de tomber (et toute la forêt avec): augmenter les caméras actuelles avec ce qui fait l’intérêt de tout ordinateur. C’est à dire un système d’exploitation plus ou moins ouvert, mais avec en tout cas la possibilité d’y installer des applications. Et encore mieux: de pouvoir en développer soi-même, pour ajouter des fonctionnalités spécifiques à sa caméra, et ainsi en augmenter sa valeur…

A quand la smartcaméra ?

Pour se rendre compte de l’importance de cette question, une statistique venant du monde de la photo (pas si éloigné que ça du cinéma…)

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On continuera par contre j’espère à appeler une caméra une caméra, même si elle est devenue « smart »…

 

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Pour rebondir

Quelques articles complémentaires:

https://www.cinema5d.com/origin-species-evolution-digital-cinema-camera/

The Evolution Of Video In The Digital Age

http://ben-evans.com/benedictevans/2016/8/15/imaging-snapchat-and-mobile

Opinion: the future of mobile video journalism is already here

 

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