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Projets

Mirabilia à la rencontre des usages

Mirabilia ?
Il s’agit d’un site web de médiation culturelle, qui raconte les histoires singulières des objets et œuvres sélectionnées avec soin dans les collections des institutions de la Ville de Genève.
La particularité principale de ce projet est de proposer une expérience de découverte transversale entre les pièces d’exception de ces collections, par le biais de thématiques et de mises en relation associatives par des mots-clés.

Je collabore depuis le début de l’année 2020 sur l’éditorialisation des contenus, mais aussi de plus en plus sur les questions liées à l’expérience utilisateur et les développements concrets à réaliser pour atteindre les objectifs, dont je parlerais un peu plus bas.
J’aimerais remercier ici Olivier Deslarzes et Véronique Lombard, qui me font confiance pour cet accompagnement technique et stratégique.

Mais déjà, pour commencer, c’est quoi Mirabilia concrètement ?
Je vais décrire les fonctionnalités principales de ce site, puis plus bas je donnerais mon avis sur cette version, en élaborant quelques idées pour pousser ce projet plus loin…

Des histoires comme inspiration pour découvrir

Par exemple, découvrez le Lac Léman à travers diverses courtes histoires illustrées, de la puce de canard au gel historique de 1891; ou apprenez l’art de la séduction, à partir du récit d’un lièvre galant ou du miroir magique étrusque…

Des nouvelles thématiques vont être rajoutées au fil du temps, et ainsi faire vivre la plateforme. Rendez-vous pris en décembre, au temps de l’escalade…

En plus de ces collections thématiques qui contiennent des belles pépites, il y a la possibilité de « jouer » avec les mises en relations associatives entre ces pièces, à travers des mots-clés ou des catégories. Là aussi, il y a de quoi voyager et sauter du coq à l’âne – essayez par vous-même en cliquant sur l’image ci-dessous !

Les mots-clés qui créent des associations entre les contenus de Mirabilia

Et bien sûr, il y a le lieu de l’histoire: la « fiche » de l’objet ou de l’œuvre, qui s’ouvre petit à petit, comme un accordéon, pour dévoiler une multitude de facettes rattachées et de détails complémentaires. Comme par exemple avec la figure de fécondité que l’on voit dans l’image de communication juste en dessous.

Que peut faire le visiteur avec ces histoires ? Il peut les collectionner, en ajoutant les objets ou œuvres aimées à une collection personnelle:

Un outil de médiation comme un organisme en croissance

J’avais déjà rédigé un billet sur ce projet en mai 2020, lors de la mise en ligne de la première version. Depuis, nous avons fait tester le site par les diverses parties prenantes et avons opéré à diverses modifications et améliorations.

Après quelques itérations avec l’agence Ideative (et la chargée de projet Julia David) sur les fonctionnalités pour préciser la promesse initiale, avec un soin tout particulier apporté aux textes (grâce à Zelda Chauvet) et aux métadonnées (mon rayon), le projet a été récemment officiellement publié, avec une campagne de promotion qui l’accompagne.

Maintenant que le projet est « lancé », il s’agit de voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, et comment il est possible de faire évoluer ce projet de manière incrémentale pour rencontrer les objectifs du DCTN.

Et surtout, en ces temps de re-confinement qui fragilisent encore plus les acteurs culturels, pour proposer une expérience digitale qui puisse ouvrir des nouvelles chaînes de valeurs et perspectives, complémentaires avec l’offre en présentiel.

Les objectifs à la source

Ce qui suit est une transposition personnelle des objectifs qui forment l’horizon de cette plateforme institutionnelle. Ce ne sont donc pas les objectifs officiels du DCTN, mais ma propre interprétation, formulée à partir de diverses discussions que j’ai pu avoir avec les parties prenantes du projet.

Voici ce qu’une plateforme de médiation digitale institutionnelle devrait pouvoir accomplir:

  • Être à l’écoute des attentes et besoins des publics. La volonté d’entrer en dialogue et de proposer des interactions est un objectif qui revient souvent. Rendre « partie prenante » le visiteur, au-delà de la médiation culturelle en tant que telle… Cela pose évidemment la question du Service Public, que je considère comme l’enjeu le plus important pour une institution publique.
  • Relier les diverses offres culturelles entre elles. Pour éviter qu’elles n’entrent en concurrence les unes avec les autres et pour mutualiser les efforts. Sortir de « l’effet de silo »… et aussi de la segmentation bien hermétique entre les spécialistes.
  • Raconter et partager. Cela semble évident qu’il faut raconter et partager, mais de savoir transmettre avec passion une histoire inédite et originale n’est pas aisé ou donné à tout le monde. L’enjeu est donc de s’y mettre à plusieurs (cf le point précédent) pour arriver à trouver le bon équilibre entre la précision scientifique et la narration qui coule de source.
  • Proposer des usages en relation vertueuse avec les pratiques connectées. La réalité des usages connectés a pris de vitesse les producteurs du savoir et de contenus culturels; il s’agit maintenant de proposer une chaîne de valeur en adéquation avec les missions des institutions publiques – et de ne pas forcément reproduire ce que fait tout le monde. Éviter la solution de facilité, qui est de tout envoyer sur Instagram, Facebook ou Tik-Tok… C’est le chantier de fond, qui est complexe à détricoter et ardu à mettre en œuvre correctement.
  • Toucher de nouveaux publics et valoriser les publics fidèles. Il n’est pas possible d’adresser correctement ce point sans avoir résolu les points qui précèdent (à moins de mettre de l’argent dans le marketing). Le danger qui guette ici, c’est de vouloir trouver et garder les publics à travers des procédures utilisées habituellement par ces publics ailleurs (conversationnel court, ton décalé, scroll horizontal ou vertical rapide, …), au détriment de la réalité de son propre contexte.
    Pourquoi ne pas essayer de miser sur la générosité (il y a tant, notre expertise à votre service !) pour attirer et garder les visiteurs ? L’enjeu intéressant va être de transposer cette « énergie » et attitude en propositions concrètes…
    Quelques pistes en fin de billet.

Est-ce que la version actuelle de Mirabilia atteint ces objectifs-là ?

Le long chemin de Mirabilia

En relation avec les objectifs énoncés, voici où se trouve à mon avis Mirabilia.

Ce n’est pas forcément visible pour le visiteur lambda, mais la première et plus importante réussite du projet a été de fédérer les diverses institutions pour créer une valeur commune, qui mutualise les efforts de communication et de médiation des diverses institutions.
C’est donc clairement le deuxième point de la liste d’objectifs qui est adressé. Une fois que l’on met les divers spécialistes autour d’une table et d’une thématique commune, c’est fascinant ce qui émerge…
Personnellement, je trouve que c’est la qualité principale du projet: proposer des histoires en mode de « passage de témoin » entre domaines scientifiques, entre spécialistes et institutions.

Ce n’est pas rien – et c’est même la fondation indispensable pour construire quelque chose de pérenne.
Au service du public, qui lui n’est pas intéressé de lire juste les termes techniques utilisés par les scientifiques, ou de devoir comprendre un filtrage par facettes pour peut-être trouver quelque chose…
La majorité des autres bases de données culturelles accessibles par le public (voici une liste d’exemples) présentent avant tout des petites images, exposent leurs métadonnées techniques à foison et il n’y a pas vraiment de traces d’histoires. On ne se sent pas accueilli avec générosité.

C’est là qu’il y a je trouve la deuxième réussite de Mirabilia: il y a des histoires inédites et de la générosité dans le partage des anecdotes rédigées par les spécialistes, en collaboration avec une journaliste.

La troisième réussite du projet, à mon sens, est la qualité du résultat esthétique au niveau UI, et partiellement de l’UX. Le site est clair, clean et classe.

Reste à travailler sur les propositions d’expérience utilisateur (l’UX), qui est un chantier complexe, parce que ça demande d’aborder de manière plus conséquente le point 1 (relation avec le public) et le point 4 (usages en relation vertueuse avec les pratiques connectées).

Pas une mince affaire.

On arrive quand ?

Comme sur toute route qui tend à s’éterniser (le projet a mis plus de deux ans avant d’être présenté au public), il faut quand même se rappeler d’où le projet est parti, savoir où il en est, et connaître (plus ou moins) la destination.
On pourra alors rassurer l’enfant en nous, qui ne tardera pas à demander: c’est quand qu’on arrive ?

On peut dire qu’avec Mirabilia, la médiation culturelle entre dans la deuxième phase de ce que permet la digitalisation: l’enrichissement contextuel de ce qu’il s’agit de valoriser, en lui donnant une forme de storytelling.

La première phase étant celle de la numérisation et du catalogage, qui a pris énormément de temps et de ressources ces 25 dernières années.
On en n’est pas encore complètement sortis, l’enjeu étant de continuer de faire le travail de fond (stocker et qualifier), tout en basculant dans l’orientation: de l’intérieur (soi même et ses pairs) vers l’extérieur (le public et le monde).
Les améliorations à apporter pour cette première phase sont en fait de moins en moins techniques que comportementales, liées à la perception de la valeur que l’on produit.

La deuxième phase actuelle est avant tout, dans ce qui se dessine dans les diverses propositions que l’on voit fleurir (et exploser avec la COVID-19), une phase de design de produits.

Pour éviter de trop rallonger ce billet qui commence déjà à tirer en longueur, je suis en train de rédiger une réflexion spécifiquement sur cette question du design de produits, pour expliquer mon raisonnement de fond.

Quelle pourrait alors être la troisième phase – et donc une amorce de destination, cet horizon qui nous appelle ?

À votre service

Sans trop entrer dans les détails (un billet suivra), je pense et j’espère que la prochaine phase sera celle du design de services.

Où la valeur n’est pas (seulement) dans l’objet ou l’œuvre, mais dans ce que le service permet de faire. Au service des usagers.
Où les producteurs de contenus (ceux qui créent les produits) ne sont pas obligés d’adresser toutes les attentes et tous les besoins, mais mettent à disposition leur expertise particulière au service d’usages que d’autres peuvent ensuite proposer et développer.
En somme, de penser écosystème avec partenariats complémentaires; de penser transversalité, au sein des rouages de la société, au delà des collaborations « naturelles » déjà initiées.

Pour éviter de rester dans une sorte d’idéalisme rêveur, il faudrait concrètement:

  • Connecter les bases de données existantes entre elles (investir dans l’interopérabilité)
  • Ajouter un étage d’éditorialisation qui contextualise intelligemment les informations agrégées (en profitant des automatisations, pour éviter de réinventer la roue)
  • Proposer une interface d’accès (une API) pour des usages externes aux institutions (open data)
  • Initier et accompagner les services déployés (exemple: APIDAE en France) avec une forme de gouvernance multipartite
  • Mettre à jour les contenus à la source, pour les rendre compatibles avec les usages publics; améliorer l’éditorialisation intermédiaire; optimiser les services publics; … et recommencer.

Ces chantiers sont à mon avis primordiaux, pour dépasser la situation actuelle qui est intenable.
Tous les producteurs de contenus font la même chose: ils se battent, avec leurs produits en étendard, pour l’attention sursollicitée du public.
A ce jeu-là, seuls les plus gros vont survivre, et le duopole Facebook / Google s’en lèchera encore les doigts (l’argent du marketing va aller chez eux).

Il y a encore du chemin à faire, pour y arriver vraiment, à ce service public… vous ne trouvez pas ?

Qui accompagne Mirabilia sur son chemin ?

Quelle est actuellement la place du public dans Mirabilia ?
Concrètement, en dehors de la possibilité de pouvoir créer ses propres collections, il n’y a encore rien qui lui permette d’apporter sa pierre à l’édifice. Et comme la fonctionnalité de création de collection n’est pas vraiment utilisée, on peut dire que le public est avant tout visiteur / spectateur.

Il y aura prochainement la possibilité de poser une question sur un objet ou une œuvre, et de consulter les autres questions et réponses, en passant par le service Interroge, qui sera intégré à Mirabilia (via le symbole « ? », encore inactif sur chaque fiche).
Je trouve cette fonctionnalité très bien pour créer des liens entre utilisateurs et spécialistes, pour enrichir les informations déjà existantes par un questionnement venu de l’extérieur des murs de l’institution.
C’est le genre de proposition de valeur qui certes ne sera pas utilisé par le grand nombre, mais qui apportera une plus-value spécifique à la plateforme, et pourra, si cela se développe bien, former un jour une communauté…

En attendant, quelle est l’expérience utilisateur originale, quelle est la fonction qui va faire revenir le visiteur, passé sa première visite ?
En dehors de la qualité des contenus en tant que tels et de l’intérêt potentiel des nouveaux qui vont être ajoutés au fil du temps, je ne vois pas la mécanique qui pourrait actuellement créer des « récidivistes ».

Comment faire, en profitant du socle des histoires originales, pour aller plus loin qu’une belle vitrine ?
Faire que le visiteur entre dans cet espace de connaissances entremêlées, s’y ballade, se perde et trouve autre chose, reparte avec une curiosité titillée, pour revenir avec une question, une proposition, une histoire qui lui a été inspirée par son passage dans cet univers foisonnant ?
Et que son apport puisse, à son tour, trouver une place dans Mirabilia ?

De multiples chemins vers l’horizon

Voici pour terminer quelques idées, pour faire avancer Mirabilia plus près des objectifs énoncés plus haut.

J’ai déjà listé les développements de fond à réaliser prioritairement, idéalement, maintenant que la belle vitrine est là.
Il faudrait en profiter également pour réorganiser le back-office (le rendre plus efficace et plaisant à utiliser) et améliorer la manière dont le visiteur peut interagir avec la connaissance partagée dans cet espace public virtuel.
En lui faisant comprendre que cet espace est aussi le sien…

Now i get it (merci Ralph Ammer)

Pour ne pas remettre des vitrines hermétiques dans cet espace digital du partage de connaissance (comme c’est le cas dans les musées), il faudrait à mon avis plancher sur les pistes suivantes. Et d’autres encore à imaginer, ensemble…

Une fiche (une œuvre, un objet), c’est le début d’une aventure (et non pas un couloir en cul de sac).

Mirabilia propose plusieurs mécaniques pour rebondir à partir d’une fiche: les recommandations contextuelles en bas de page et les filtres activables via les taxonomies et mots-clés. C’est un bon début, mais pour « décapsuler » le potentiel d’une fiche, il faudrait la penser comme une comète.
Ce sur quoi se concentrera l’attention du visiteur dans le temps, c’est le sillon, la trace que produit la tête de la comète: un parcours spécifique dans le contexte magique du ciel étoilé…

Une manière simple d’offrir une belle crinière à notre comète (la rendre plus désirable) est de fournir plus de contexte vivant (parce qu’il évolue au fil du temps) au sein de l’histoire de la fiche.
Les journalistes ont essayé diverses solutions pour personnaliser et faciliter la compréhension des enjeux complexes; des plateformes vidéo proposent des enrichissements contextuels participatifs; des outils comme Fold ou Roam proposent une articulation plus spatiale des informations…
Une manière de faire vivre cette comète (ou de faire un appel de phare au visiteur, si l’on préfère), c’est de poser une question, du type qui intrigue, et d’apporter une courte réponse dans le fil même de l’interaction. L’enjeu est de ne pas sortir l’attention vers une nouvelle page ou un overlay (qui nécessite un clic loin du centre pour le refermer), mais de le faire un maximum dans le même contexte.

Toutes ces pistes pour au final se concentrer sur une chose, la principale: montrer que l’histoire liée à un objet ou à une œuvre n’est qu’une histoire parmi d’autres, non exclusive des autres manières de décrire, d’illustrer, de chanter, d’expliquer, de faire sentir ce qu’est l’importance de cette chose que l’on met en avant.

En somme, pour chaque fiche: offrir plus de profondeur, des liens, des anecdotes sur l’histoire de l’objet ou de l’œuvre… avec générosité.
Faire passer l’étincelle de la générosité sera le plus beau cadeau à offrir au visiteur.

Une collection de fiches, c’est aussi une histoire que l’on déroule (et non pas seulement un mur bardé d’images).

Mirabilia propose des collections thématiques, pour orienter la réception des contenus proposés. Ce qui manque actuellement dans la manière d’exposer cette collection, pour la rendre vraiment narrative et pour aller plus loin qu’un mur rempli d’images, c’est principalement deux choses: un ordre donné qui fait sens (début, milieu et fin), et de montrer les « particules » de l’histoire les unes après les autres (proposer une expérience temporelle).

La première solution pourrait être de transformer ce mur en story: les réseaux sociaux ont mis à la mode cette expérience de déroulé avec contrainte temporelle, qui est en fait simplement un diaporama quelque peu augmenté.

Deux difficultés sont à surmonter. Créer cet ordre (cette histoire), sans que cela produise un effet de narration forcé: c’est un travail non négligeable pour que ça fonctionne. Et puis, plus important encore, vu que nous sommes sur le web: pourquoi ne pouvoir créer qu’une seule story, alors que l’on connaît l’importance et le potentiel de ce que l’on appelle la culture du remix ?

Une belle manière d’initier ce mouvement de remix et de stories, c’est d’inviter des artistes, musiciens, écrivains, journalistes, historiens, politiciens, scientifiques, citoyens, étudiants … de créer des playlists augmentées, en leur donnant un contexte original et une perspective personnelle.
Par exemple en créant un soundtrack qui accompagne le visionnement des images (sur un mode Podcast), en écrivant une poésie autour ou à partir de ces fiches (via une vidéo ?), en associant certaines fiches à d’autres histoires (enrichissement historique, géographique…), des collages animés (par exemple avec l’application e.gg), etc.

Il y aurait donc d’un côté le réservoir maîtrisé des fiches, exposant les choix éditoriaux des institutions (en mode comète); et de l’autre, les usages vivants et créatifs réalisés à partir de ce savoir (en mode remix).

L’enjeu est d’initier cette réappropriation décentralisée via des ateliers, des concours, des demandes de contribution rémunérés, dans le cadre d’évènements comme la nuit des musées… Il me semble en effet important de diminuer la pression de production (en mode marketing de la connaissance) sur les institutions, pour amener la balle sur le terrain contributif et créatif de la société civile (mon prochain point y viendra plus en détail).

Pour créer les conditions préalables au remix, il faut mettre en place ce que j’ai décris plus haut: une éditorialisation intermédiaire qui facilite les nouvelles mises en relation, mais surtout, proposer un connecteur qui permette de créer ces remix avec divers outils adaptés à la création contextuelle dans une application web (intégrer des outils web existants dans le workflow de création de playlist). Il suffit de voir la proposition de valeur principale de certains outils collaboratifs (Slack, Trello, Airtable, …) pour s’inspirer de ce qu’il est possible de faire.

Now i get it (even better) – visitez le super site de Ralph Ammer
La navigation sur un site de médiation, c’est idéalement vivre l’expérience d’une scène de jeu qui accueille nos questions et apports (et non pas un tracé figé de couloirs à emprunter passivement).

On a encore trop le réflexe de structurer l’expérience du savoir en ligne comme un espace très ordonné et didactique, pour protéger ce savoir et pour éviter que l’utilisateur fasse n’importe quoi avec ce savoir.
À force de structurer son offre à partir des problèmes potentiels (les trolls, les usagers perdus…), on en vient à faire ce que fait très bien la télévision linéaire (avec « le succès » que l’on sait face à Internet): normaliser son offre pour un dénominateur commun médian qui comporte le moins de risques.
Alors que le vrai risque, c’est de se noyer immédiatement avec son produit dans l’offre surabondante du web…

Sans vouloir prendre des risques inconsidérés et inutiles, j’ai personnellement l’espoir qu’il est possible de proposer plus de profondeur aux contenus (mon premier point), tout en permettant des usages plus appropriatifs (mon deuxième point), pour finalement offrir un espace d’interaction propre à chaque visiteur ou acteur (mon troisième point actuel).
En clair: de proposer des fonctionnalités graduées selon les besoins et les attentes du visiteur. On sait le faire dans les outils de back-office (via les rôles et les autorisations), alors pourquoi ne pas le proposer aussi au niveau de la vitrine publique ?

Pour prendre une comparaison avec nos espaces urbains: est-ce que l’on veut produire que des espaces publics aux usages contraints par la volonté structurante des maîtres d’ouvrage (top-down) ou est-ce que l’on veut aussi permettre l’émergence d’espaces qui se développent avec les usages, dans les temps, avec une appropriation des usagers (bottom-up) ?

Il me semble que c’est cette deuxième piste qui est de plus en plus désirée (même au niveau urbanistique ça commence à devenir à la mode); alors comment faire pour aller plus loin dans cette direction ?

C’est le questionnement le plus complexe de cette liste de pistes à creuser; je simplifie donc largement en posant les considérations suivantes.

  • Outil. J’utilise le mot « outil » et pas le terme « plateforme » pour désigner un site web qui puisse être « utile ».
    Outil utile ? Oui, simplement parce que si l’on construit une présence web qui n’est ni outil utile, ni plateforme, on paye très cher le bateau qui nous garde à flot sur l’océan du web. Si l’on est déjà une marque connue (comme c’est le cas des institutions en place), ce n’est peut-être pas trop un problème; mais c’est dommage de rester vitrine et de ne pas viser service public.
    Un outil pourra proposer un service; une vitrine ne proposera que des produits. L’un n’est pas exclusif de l’autre, mais de basculer sa vitrine en outil demande une belle conversion de son orientation.
    Quel horizon vise-t-on ?
  • Intégration. Le mot intégration renvoie à de la technique et du stratégique. Il est simplement impossible de poser une vitrine – et encore moins un outil – dans le monde digital, sans intégrer des services et outils tiers. L’enjeu est de pouvoir se concentrer sur sa promesse spécifique en intégrant des outils ou services existants, de la même manière qu’un nouvel immeuble va se connecter aux services existants (eau, électricité, voirie, etc).
    Cela demande un important effort d’architecture de l’information et d’optimisation des flux de travail, en amont de la mise en production, idéalement. Sinon, on risque de faire comme avec les multiples chantiers que l’on voit fleurir en ville: ouvrir le bitume, fermer, réouvrir, etc, en occasionnant des surcoûts et des belles perturbations.
    Et il s’agit aussi de se faire intégrer bien sûr… parce que ce n’est qu’en étant utilisé (comme un outil!) que l’on devient indispensable.
  • Générosité. J’ai déjà beaucoup utilisé – et peut-être même abusé… – de ce mot dans ce billet. Je termine avec, parce que j’aimerais éviter un malentendu.
    Je suis convaincu que chaque spécialiste qui travaille dans l’ombre des institutions est généreux avec son engagement pour son domaine de connaissance. La générosité qui me semble importante de cultiver est celle qui est désintéressée et inconditionnelle, qui partage sa production de manière à pouvoir être utile à d’autres, au-delà de son domaine et de ce que l’on peut imaginer depuis son expertise.
    Ce n’est donc pas un enjeu technique, mais un état d’esprit… qui va avoir beaucoup d’impact sur la future chaîne de valeur.

Prendre le temps de cheminer

Le web est jeune, la technologie digitale est toute nouvelle, nous n’avons pas suffisamment de recul pour comprendre ce qui se passe avec notre monde qui change aussi vite.
Je suis convaincu qu’il faut poursuivre les expérimentations, se tromper, persévérer, améliorer et encore chercher… et dans quelques (dizaines ?) d’années, on pourra peut-être enfin se dire: oui, là nous avons trouvé quelque chose qui marche, qui fait sens.
On sera alors vraiment devenu digital natives, et on n’essayera plus de faire rentrer au chausse pied un monde dans un autre…

Je souhaite que de projets comme Mirabilia puissent se développer sur du long terme, et ne soient pas « oubliés » sur le chemin, parce que les chiffres ne donnent pas satisfaction, ou parce qu’une mode en a remplacé une autre.

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Lectures complémentaires

Un billet que j’ai écrit en 2017 sur le futur de la plateforme de médiation traverse, avec une problématique en résonance avec ce qui est développé plus haut.

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