Sur le chemin du développement de la plateforme de médiation numérique « Patrimoines en Partage » (qui va être présentée publiquement en 2017), j’ai listé les spécificités techniques et conceptuelles de ce projet.
Comme il y a beaucoup d’initiatives dans le domaine de la médiation culturelle à travers le numérique (voir l’état de l’art du projet), il est important à mon sens de tirer des enseignements de ce qui s’est fait et de mettre nos conclusions en perspective avec les développements actuels du numérique, au delà du champs patrimonial ou culturel: l’importance croissante des applications de messagerie et l’arrivée des bots; le gros hype autour des projets en AR/VR; l’importance grandissante de la vidéo ou les évolutions des techniques et des usages…
Au delà des effets de mode, il y a bien un raccourcissement des cycles d’évolution des usages – l’enjeu est donc de découpler les contenus des usages, en pariant sur le fait que si les contenus sont accessibles moyennant des descriptions exhaustives, ces contenus pourront vivre plusieurs vies au delà du projet sur lequel nous nous concentrons actuellement.
D’autres enjeux sont aussi à considérer pour aligner le couple « vision / mission » du projet avec les promesses et la stratégie de mise en production:
- La séparation entre les spécialistes et le grand public vacille: entrons nous pour de bon dans une ère du « trans »(disciplinaire) ? Comment, à quel prix, au moyen de quelles méthodologies ?
- Un autre fossé se comble: la distance, ou la différence entre les créateurs et les spectateurs est également en train de se brouiller. Qui va faire autorité, qui aura le dernier mot, et quelle sera la répartition entre les parties prenantes sur les fruit du projet ?
- Il s’agit de rajeunir le public: comment intéresser les jeunes à des enjeux qui rassemblent actuellement une majorité de seniors ? Comment ne pas faire tourner encore le moulin aux Facebook et consorts, tout en y cherchant les personnes curieuses pour les amener ailleurs ?
La liste pourrait encore se rallonger – je pointe donc sur la page dédiée à ces questions des enjeux.
Voici donc enfin les hypothèses et concepts que mon travail « d’architecte » de la plateforme PEP m’a amené à définir:
- “Over the top”.
Le site web et l’application mobile PEP sont construits “par-dessus” les réseaux sociaux. Cela veut dire que les réseaux sociaux sont le “socle” d’entrée du projet PEP. Le point d’entrée principal (de la masse du public) est clairement Facebook, dans une moindre mesure Instagram, Twitter et consorts.
Cette stratégie est très différente de la mécanique traditionnelle: le site web / appli mobile des contenus à valoriser est le socle (porte d’entrée principale désirée), et les réseaux sociaux sont des amplificateurs externes que l’on active un peu par dépit. “Over the top” signifie ici proposer un usage spécifique et original par-dessus l’océan de données (le web et les réseaux sociaux).
Sachant que l’on maîtrise les données qui seront exposées d’une manière spécifique & ponctuelle sur les réseaux sociaux (éditorialisation propre aux caractéristiques des plateformes sociales) et que l’on peut faciliter/guider le passage entre les données sur les réseaux et l’expérience personnalisée sur la plateforme PEP; que l’on maîtrise bien sûr les données exposées sur la plateforme ainsi que l’orientation de la navigation (pas de chemin unique ni d’arborescence ouverte à tout vent). - Entrée facilitée.
Le visiteur / spectateur va commencer par le plus simple / court / synthétique pour arriver plus tard, s’il le désire, au plus continu / long / complexe. Il s’agit d’éviter de lui donner tout à plat: exposer la base de données, ce qui est le réflexe standard des applications de médiation culturelle. Il s’agit plutôt de favoriser une entrée qui est “proposée” par un proche (via les réseaux sociaux), avec ensuite une “réarticulation” des données en fonction de ses propres envies (si on a envie de tout voir à plat, on peut).
Favoriser les entrées avec la plus-value de “curation personnelle” (que ce soit un expert, un journaliste, bloggeur ou un ami). - Une expérience temporelle.
Contrairement à la navigation classique à travers une base de données qui est avant tout spatiale (on a les données les unes à côté des autres, sous forme de liste ou sur une carte), l’expérience utilisateur de la plateforme PEP sera grandement temporelle (comme l’expérience d’un film). Les données les unes derrières les autres (on se concentre sur une chose et pas sur une liste de possibles), dans un fil / flux qui a une logique causale compréhensible, voire, encore mieux, une logique narrative (les playlists éditorialisées). Contrairement à un film, où l’ordre des données qui servent la narration sont collées les unes aux autres (on ne peut pas changer l’ordre, qui est figé par son auteur), l’expérience temporelle dans la plateforme PEP propose à tout moment la possibilité de changer l’orientation du fil/flux de données.
On devient partie prenante de l’expérience… Plus de rails que l’on doit suivre, mais une base liquide sur laquelle on peut naviguer… - Organique et vivant.
L’expérience utilisateur est donc fondée sur ce fil/flux de données, que l’on peut personnaliser (de manière consciente, choisie, ou qui est automatisée en fonction de sa localisation et d’un algorithme). Dans le travail à effectuer du côté des producteurs de contenus et professionnels du patrimoine, il s’agit de se dire que l’on ne vise pas une publication ponctuelle et momentanée de son travail (comme on le fait pour un livre par exemple), mais on travaille tout le temps, par petites itérations et cycles évolutifs courts, sur les contenus et les descriptions & connexions des données.
Ce qui veut dire que l’on est pas obligés de faire tout de suite tout juste; que l’on peut ajouter et enlever en tout temps des contenus; que l’on peut toujours corriger une description, la compléter; que l’on peut créer des playlists qui correspondent à un besoin momentané; que l’on peut accueillir des contenus créés par les utilisateurs et leur donner une place au sein d’une conversation… - Multiples usages (complémentaires) pour chaque contenu (image, texte, objet etc).
Les contenus et les histoires à partager existent de manière spécifique pour chaque plateforme: une image peut exister “toute seule” sur Facebook, avec une description qui la relie à la plateforme PEP et aux scénarios d’usages principaux. A l’inverse, les contenus créés à travers l’expérience utilisateur PEP vont pouvoir automatiquement exister “tous seuls” sur Facebook, Instagram, etc. - Une expérience utilisateur originale et unique
est seulement possible à travers le couple Site Web et Application Mobile: l’enjeu principal étant d’amener un maximum de personnes en provenance des réseaux sociaux sur la plateforme PEP. Ailleurs que sur la plateforme PEP (réseaux sociaux, sites partenaires ou la presse), les contenus continuent de pouvoir être valorisés mais la plus value éditoriale des connexions, des liens et des transversalités qui font la spécificité du projet transfrontalier est seulement possible en utilisant le site / l’appli mobile. - Le design de service
du projet PEP est plus large que les scénarios d’usages, dans le sens que le service va aller au delà du couple Site Web et Application Mobile. Le design de service comprend donc également tout le travail de curation, modération et accompagnement des usages sur les réseaux sociaux; il s’agit donc d’un service qui vise à utiliser un maximum tous les ressorts du numérique.