A travers la plateforme Memoways, des variantes et développements spécifiques du projet Walking the Edit sont en train de se monter dans plusieurs villes dans le monde – dont un projet qui va voir le jour en octobre à Genève.
Voici une interview réalisée par Nora Lune en juin 2014 sur ce projet.
Entretien avec les étudiants du collège Claparède dans le cadre du projet ART SANS RDV, mai 2013
@Nicolas Aubry
La plaine de Plainpalais, lieu collectif emblématique de Genève, fort de sa diversité culturelle et artistique, a inspiré le projet Art SANS RDV en raison de sa récente réhabilitation urbanistique et du projet Neon Parallax. L’équipe a choisi comme partenaire technologique Memoways pour développer un outil de médiation culturelle dont l’objectif est de stimuler l’intérêt, la compréhension et l’interaction entre les passants et l’art contemporain situé dans l’espace public et de mettre en exergue sur les propositions artistiques inscrites sur le territoire. Zsuzsanna Szabo, responsable du projet, nous en parle…
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Parler de parcours serait peut-être prétentieux de ma part, je me sens encore tout à fait au début ma « carrière », si je puis dire. Mais, je peux vous expliquer les grandes étapes qui m’ont guidées vers la conception du projet ART SANS RDV avec une ancienne collègue du Mamco, Cécile Simonet avec qui nous partagions une même vision sur le rapport entre médiateur et public.
Diplômée en histoire de l’art à l’Université de Genève, c’est le Musée Ludwig de Budapest qui m’a donné ma première chance professionnelle dans le monde de l’art contemporain. A l’époque, cette institution était dirigée par Barnabas Bencsik, un homme qui a joué un grand rôle dans l’ouverture de la Hongrie vers la scène internationale de l’art après la chute du régime socialiste. Là-bas, je travaillais dans le département des expositions. Le secteur médiation culturelle s’appelait « pédagogie muséale » d’après le terme allemand Museumspädagogik, il organisait principalement des ateliers pour enfants. Ce département était très à l’écart des autres activités du musée, et considéré quelque peu inférieur aux autres. Vous remarquerez que c’est une conception assez généralisée dans le monde institutionnel de l’art : la médiation culturelle est toujours en bas de la liste de l’organigramme des musées. De retour à Genève, je me suis orientée vers la médiation culturelle, d’abord par le biais du Musée d’art et d’histoire et rapidement après au sein du Mamco grâce à Karine Tissot, à l’époque responsable du Bureau des transmissions. C’est là-bas que j’ai commencé à développer un réel intérêt pour ce métier. Parfois, on dit que la médiation culturelle commence là où le travail d’un commissaire s’arrête, c’est-à-dire à l’ouverture de l’exposition. Paradoxalement, parmi les professionnels du musée, c’est le médiateur qui passe le plus de temps dans les salles d’exposition après le gardien. La connaissance théorique accumulée durant la préparation des visites est mise en situation au moment de la rencontre avec le public. Dans cette optique, la médiation n’est pas simplement la transmission d’un savoir à sens unique, mais un acte du hic et nunc, c’est-à-dire une action qui se déroule ici et maintenant et de laquelle naissent des perspectives et des regards nouveaux pour chacun, y compris pour le médiateur.
Avec ART SANS RDV, nous voulions sortir la médiation culturelle de l’institution pour créer un projet là où celle-ci manquait, à savoir dans l’espace public.
Je poursuis actuellement cette grande aventure avec Maral Farahmand, également historienne de l’art, Benoit Billotte, artiste et médiateur culturel et Séverin Bondi, médiateur culturel et scientifique au BIM-MEG (association de médiateurs au Musée d’ethnographie de Genève). C’est sur cette complémentarité des compétences et des expériences que nous menons ce projet de façon collégiale et dans une ambiance très motivante.
Quel est l’objectif et l’enjeu de votre projet ?
Nous avons choisi de nous concentrer sur un territoire emblématique de la ville de Genève, la plaine de Plainpalais. C’est un lieu très intéressant au niveau historique, urbanistique, sociologique, c’est aussi un lieu où cohabitent un grand nombre d’œuvres d’art issues d’époques et d’initiatives diverses. Si dans un musée, le travail muséographique révèle, dans le meilleur des cas, un dialogue direct entre les objets exposés, dans l’espace public ce travail muséographique est évidemment absent, et le dialogue entre les œuvres est moins évident à saisir, d’autant plus que les œuvres ont tendance à se perde dans les coulisses de la ville. Je dirais que, dans un premier temps, l’objectif est de favoriser l’intérêt, la compréhension et l’interaction des promeneurs avec l’art dans l’espace urbain et dans un deuxième temps de révéler les rapports qui se tissent entre les œuvres et leur contexte. Nous considérons l’espace public comme un lieu où l’art est insécable et où les œuvres sont prises dans une évolution. L’espace public a une dimension spatio-temporelle très différente de celle du musée ou de la galerie où les expositions se succèdent les unes aux autres. Ici, il n’y a pas de table rase. L’espace public est un mille-feuille qui se redéfinit constamment avec chaque nouvelle couche qui vient s’ajouter. C’est l’inscription des œuvres dans ce contexte spécifique que nous cherchons non pas à définir, mais à cerner.
Pourquoi avoir choisi l’outil Memoways pour la médiation culturelle?
Memoways est un logiciel vaste et complexe. Dans un premier temps, c’était simplement le fait de pouvoir géolocaliser et de mettre ainsi à disposition du promeneur une vaste quantité de contenus audiovisuels sans pour autant lui dicter un quelconque chemin à emprunter. On voyait en Memoways la possibilité de créer ainsi un outil de médiation non-autoritaire, non-intrusif puisque invisible, mais malgré tout toujours présent. Une sorte de médiation de l’art qui ne nécessite pas de rendez-vous. Au fur et à mesure que nous avançons dans le projet, nous réalisons la grande qualité de Memoways qui réside dans sa base de données et son potentiel d’archive intelligente et modulable qui permet de mettre en relation de façon innombrables les différents éléments audiovisuels qui la constituent. Tout ça, c’est très technique, mais ce que nous essayons de mettre en place à travers Memoways, c’est un outil qui peut révéler autant de facettes que possible d’une même œuvre. Le but étant de ne pas fermer l’œuvre dans un discours, mais de l’ouvrir, avec les moyens à notre disposition, vers autant de discours que nous pouvons récolter.
A qui avez-vous soumis votre projet ? Comment a-t-il été reçu ? A qui s’adresse t-il ?
Nous avons d’abord adressé notre projet à la Bourse pour médiateurs en art contemporain, un prix alloué par le Fonds municipal d’art contemporain de Genève, dont les projets soumis sont jugés par un jury composés de membres externes. Nous n’avons pas gagné ce concours, mais le fait d’y avoir participé nous a beaucoup aidé pour la suite. Pour résumer une longue histoire, c’est d’abord des instances privées qui se sont engagées en faveur du projet et aujourd’hui nous avons également le soutien de la Ville et du Canton. La difficulté d’un tel projet réside justement dans le fait qu’il ne soit pas rattaché à une œuvre en particulier mais à un ensemble d’œuvres, et qu’il prenne en compte l’ensemble des caractéristiques d’un territoire auquel les œuvres appartiennent. La plaine abrite des œuvres appartenant tantôt à la Ville, tantôt au Canton. Comment demander à l’un de financer la médiation des œuvres de l’autre ?
Et pour répondre à la question de l’adresse, nous espérons réaliser un projet tout public. Mais nous sommes encore en pleine phase de réalisation de l’outil et il ne faut pas penser que le travail s’arrête une fois que le projet est rendu public. Je dirais même que le vrai travail de médiation ne commence réellement qu’après : il faut faire connaître l’outil et aider les utilisateurs à s’approprier ce monde numérique et c’est là où notre travail direct avec le public peut se faire.
D’où proviennent les contenus ?
C’est justement le cœur du projet, celui qui occupe le clair de notre temps, qui préoccupe notre esprit et qui en même temps nous motive et nous stimule quotidiennement. Nos contenus sont le résultat d’entretiens filmés dont la mise en place et l’organisation font partie du travail de l’équipe d’ART SANS RDV. En réalité, tout le projet ART SANS RDV est bâti sur les réflexions et commentaires de ces nombreux et généreux contributeurs qui acceptent de participer au projet. Ces rencontres font de ART SANS RDV une aventure incroyablement belle, riche et humaine.
Quelle stratégie adopterez-vous pour pérenniser votre projet ?
Nous sommes conscients qu’un projet aussi conséquent bien qu’immatériel, et dont la réalisation nécessite un important investissement en terme de temps, d’énergie et de moyens financiers, demande également un suivi après sa sortie. Un projet comme celui-ci a réellement du sens s’il peut être réalimenté avec de nouveaux contenus. Entre le moment où nous avons déposé notre projet initial et aujourd’hui, une nouvelle œuvre a été installée sur la plaine : l’espace public se modifie avec le temps, et logiquement ART SANS RDV doit pouvoir suivre cette évolution. Mais de façon plus pragmatique, si nous voulons garder l’infrastructure de ART SANS RDV mise en place pour la plaine de Plainpalais, nous devons probablement envisager d’étendre le projet sur une autre partie de la Ville ou du Canton. Le projet peut se pérenniser seulement si la structure associative qui s’est créée pour sa réalisation perdure.
De façon non intrusive et impartiale, ART SANS RDV vise à unifier l’ensemble des oeuvres implantées sur le territoire et rendre attentif tout un chacun à l’espace urbain qui l’entoure comme étant un bien commun.
Connaisseur ou simple curieux pourront désormais enrichir leurs connaissances artistiques en confrontant des témoignages différents sur une oeuvre : non seulement le témoignage de l’artiste, d’experts mais également la perception des citadins. Avec le soutien de Memoways, ART SANS RDV promet une expérience interactive unique, personnalisée et inoubliable à travers le territoire et son patrimoine culturelle.